Julien Kunika, gérant de 4 restaurants bordelais * et consultant en développement d’unités de restauration, revient sur la crise qui a frappé de plein fouet la profession. La reprise demeure poussive et de nouvelles tendances de consommation semblent émerger pour la pause déjeuner…

15 jours après la réouverture des restaurants, quelle est la tendance ?


Il y a bien un certain engouement, et les terrasses sont prises d’assaut lorsque la météo est clémente. En revanche, la clientèle déserte les salles intérieures, par peur du virus. En outre, les restrictions sanitaires drastiques réduisent considérablement notre capacité d’accueil et viennent entamer notre chiffre d’affaires de 30 à 40 % en moyenne.

 

Justement, quel protocole sanitaire avez-vous mis en place pour accueillir la clientèle ?

Nous avons suivi à la lettre le protocole gouvernemental, avec la mise à disposition de masques et de gel hydroalcoolique pour notre clientèle. Côté cuisine, les équipes nettoient régulièrement toutes les surfaces de préparation et de cuisson, se lavent les mains toutes les 30 minutes et portent obligatoirement un masque. Même protocole strict pour les toilettes, avec une occurrence de nettoyage toutes les 2 heures. Afin de mettre en place ce protocole, tous mes responsables d’exploitation ont suivi une formation en ligne, organisée par la médecine du Travail, en collaboration avec l’UMIH. L’occasion pour eux d’apprendre les bons gestes, de connaître les bonnes pratiques et de lever un certain nombre d’interrogations.

Quel sentiment vous anime suite à cette réouverture ?


Très honnêtement, nous étions tous contents de redonner vie à nos établissements, mais force est de constater que la consommation n’est pas au rendez-vous. Aller au restaurant, c’est avant tout partager un moment de convivialité en famille, entre amis. Là, nos serveurs sont masqués, la clientèle doit également se déplacer à sa table en portant un masque. On perd beaucoup en spontanéité, et le protocole sanitaire va à l’encontre de cet art de vivre à la française. Cela soulève également de nombreux paradoxes : pourquoi est-il interdit de consommer debout, au comptoir, alors qu’il est possible de voyager dans un métro bondé ? Ces règles iniques portent préjudice à toute notre profession, qui représente 200 000 entreprises, et 2 millions de salariés.

Justement, le métier de restaurateur opère-t-il une mutation ?

Clairement, on observe une désertification des espaces de restauration sur la pause méridienne. Cette nouvelle tendance s’est imposée lors du confinement, où nombre de familles et de salariés déjeunaient chez eux ou se faisaient livrer. Aujourd’hui, on note une forte progression du « take away » le midi. C’est une autre façon de vivre sa pause déjeuner, à l’anglo saxonne, en se restaurant au bureau, au sein de son entreprise. La restauration plaisir est désormais réservée aux soirs et aux week-ends.

Que retiendrez-vous de la gestion de cette crise sanitaire ?

La profession a été durement malmenée tout au long du confinement, et nous avons souffert de décisions prises à la hâte. La fermeture administrative nous a été imposée un samedi soir à 19H30. Nombre de restaurateurs ont dû liquider leur stock en urgence, sans parler des annulations du dimanche. Avec un peu d’anticipation, nous aurions pu nous organiser et prévoir en conséquence. Même cas d’école avec le protocole sanitaire, qui nous a été révélé quelques jours avant la réouverture du 11 juin. On assiste à un véritable cafouillage gouvernemental, et je crains fort que la gestion de cette crise n’entraîne tout un effondrement de notre profession, avec des licenciements et des faillites en cascade.

Des mesures insuffisantes, selon vous ?

Insuffisantes et inadaptées. Aujourd’hui les restaurateurs peuvent prétendre au chômage partiel et au PGE. Pour ma part, j’ai eu de la chance, car j’ai pu bénéficier d’un PGE de 300.000 euros auprès du Crédit Agricole Aquitaine, avec une rapide d’exécution en 24 heures. Je regrette simplement que la perte d’exploitation ne soit pas prise en charge par les assurances. Si chacun avait pris sa part de responsabilité, la profession serait moins affaiblie. Il suffisait pour cela d’une participation des assureurs à hauteur de 10 à 15% pour couvrir les frais fixes. D’un geste des bailleurs afin de geler les loyers, avec – pourquoi pas ? – un crédit d’impôt à la clé.

Au lieu de cela, la profession s’est retrouvée seule à tout assumer. Aujourd’hui, je fais face à un vrai casse-tête chinois, et l’un de mes restaurants demeure fermé, car sa réouverture pèserait trop lourd au niveau des charges fixes et salariales. A se demander si le protocole sanitaire ne va pas créer plus de morts (économiques) que le Covid ? Selon les dernières estimations, 30 à 40 % des restaurants risquent de disparaître, et jusqu’à 70 % si on nous laisse au bord de la route.

Comment voyez-vous demain ?

Difficile de se prononcer. Je crains une deuxième vague avec l’ouverture trop rapide des frontières. Alors pour la première fois de ma vie, j’envisage de changer de métier. Un vrai crève-cœur, car ce sont mes grands-parents qui m’ont transmis cet amour du goût et du bon. A 15 ans, j’étais plongeur, et je suis passé par tous les postes, avant d’ouvrir en 2001 mon premier restaurant. On verra bien…

* Le Life, Le Reservoir, Le French Bistro , Le Floor,

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